lundi 15 novembre 2010

Au bord de l'amère

Bon je m'excuse lecteur, sur ce coup je fais une entorse à mon exigence de concision habituelle, c'est que je compte donner un peu dans le réflexif, et dans ce domaine, seuls les très malins arrivent à s'expliquer avec peu de prose.

Sans transition récit d'un bout de vie compris entre une nécessité administrative et un navet hollywoodien.

Oui, tout avait commencé avec ce fâcheux constat: pour la première fois de ma vie je suis clandestin. La solution pour ça comme me l'a indiqué sans émotion la bonne femme de l'immigration : salir del pais. Ah quand même. Maintenant si raisonne la chanson de Manu Chao, je m'en amuse mais n'en abuse, il faut solutionner la chose. L'astuce s'appelle Equateur, j'irai le week end prochain.

Le week end prochain...

Le plan: partir seul pour 20 heures de car, jusqu'à la frontière, quelques dollars dans le passeport, et c'est reparti pour 90 jours de légalité que j'entamerai à Mancora, bled de la côte nord qui baigne son sable fin dans un pacifique chaud.

Ca commence donc par du car. Le car au Pérou c'est un avion sans aile. Tout y est, l'hôtesse et sa démonstration des consignes de sécurité, les plateaux repas qui font passer le temps plus que l'appétit, la consigne utopiste de ne pas enlever sa ceinture avant l'arrêt complet de l'appareil. La plaie de ces voyages en bus ce sont les films. Mes espoirs de lecture se sont vus réduits à néant par 5 de ces navets hollywoodiens abrutissants produits en série et passés à la chaîne qui exhibent ces gallinacés couinantes dopées au mariage et au shopping. Sacré contraste quand je tire le rideau pour voir les pueblos jovenes qui poussent en plein désert le long de la panaméricaine. Reste que les confortables cruzeros nuancent ma vision des cars dont le référentiel critesque la résumait à la mélodie des canettes de bière jonchant l'allée centrale que que la jeunesse germanopratine piétinait avec entrain.

Je finis quand même par arriver à Tumbes, ville frontalière, sans grand intérêt. Le scoop c'est que je n'aurai pas besoin d'aller chercher la corruption jusqu'en Equateur, elle m'attend à l'immigration péruvienne qui après un succinct marchandage m'accorde 90 jours pour 10 dollars. Bon deal me dit mon nouveau pote spécialisé dans l'escorte de gringos. Lui c'est Carlos, le type qui te propose de t'accompagner en taxi à la frontière, à qui tu dis non gentiment, qui engage la conversation malgré ton froid refus et dont au final tu acceptes la compagnie parce que tu as besoin d'infos et que de tu ne désespères pas qu'une partie de lui ne te voit pas uniquement comme un distributeur automatique. Après une heure et demie passée ensemble c'est malheureusement l'amère sensation qu'il me donne quand, au moment de se séparer, il parait déçu du pour boire plutôt généreux que je lui offre et qu'il me quitte sans un sourire. A ce moment là je dois l'avouer, je me sens un gringo bien naïf.

Suis-je condamné à être ce gringo là? La bonne poire? L'opportunité? Je me rassure à croire que non, qu'une relation d'égal à égal est possible, qu'il existe des désintéressés intéressés par un échange sans rien en échange.

Pensais-je filant sur Mancora. Je me suis par conséquent livré à un boycott systématique des hôtels à touristes, bien décidé à vivre quelque chose de vrai. C'est comme ça que marchant sur la plage je rencontre un local, venu passer le week end dans son negocio en construccion. La conversation s'engage, le bonhomme est rieur et chaleureux, j'opte pour l'hébergement cheap et convivial qu'il m'offre. Ce sera sans lumière et avec cafards mais qu'importe, je suis déterminé. Un autre gars vit aussi dans la maison, Jesus (prononcer "Rhèsouce",ndlr) avec qui on ira diner le soir même, comme trois potes, dans un bouiboui connu du plus vieux des deux. Le lendemain après une première immersion dans le pacifique on prépare ensemble un ceviche, franchement bon. On décide finalement avec ma connaissance de la veille de couper court à la digestion pour aller se baigner dans les eaux thermales non loin de Mancora. Mon pote me laisse même conduire pour rentrer, belle journée décidément. Le soir il n'y a plus que Jesus avec qui j'irai chercher un peu d'animation en ville pour occuper mon samedi. Coup de bol c'est l'anniversaire du village et entre deux cervezas partagées avec de nouvelles connaissances on à même droit à un feu d'artifice. Reste le dimanche matin que je consacrerai à faire roussir mon nez sur ma serviette, profitant de cette solitude saine et vitale que nous offrent les grands espaces.

Seulement voilà, si Mancora m'évoque ces bons moments, il me reste aussi une part d'amertume en triant mes photos. Oui, je me suis trouvé un peu désillusionné quand au moment de nous quitter mon pote me demande de l'argent pour le "tour" de l'après midi. Tour veut dire touriste, et je me mets à douter de la sincérité de l'amitié récemment nouée, tout juste décrédibilisée par le caractère commercial du dernier contact. L'amertume resurgit le dimanche quand Jesus à qui j'avais prêté quelques soles la veille ne revient pas avant que je me décide à partir, et que sur le chemin je le surprenne à se cacher quand lui même m'aperçoit, pour ne pas avoir à honorer sa dette. Déçu et agacé je ne pas lâche pas prise et attends qu'il se décide à assumer. Je lis son embarras et lui mon silence impassible et désabusé. Le contraste avec la veille est cinglant, à son "buena onda" peu crédible je rétorquerai un "adios" plutôt froid.

Marchant au terminal de bus sous le soleil de 3h ce n'est pas de la tristesse qui me gagne, la désapparition ratée de Jesus a permis un face à face qui, si pesant soit-il fut aussi apaisant car justice a été rendue (la formule est très grandiloquente pour la façon dont je l'ai vécu hein).

Alors quoi? Me revoilà le gringo du vendredi au final. Après une réelle tentative de tisser des liens sincères je me rends compte que ce n'est pas si simple. Les gringos sont-ils destinés à faire des trucs de gringos dans des hotels pour gringos si ils ne veulent pas connaitre l'amertume de certaines surprises? J'espère que non mais peut-être que je m'obstine à ne pas assumer que je reste un touriste. Peut-on peut tisser des liens véritables avec des individus de culture et de niveau de vie différents? Je continue à croire que oui, mais suis plus nuancé sur la faisabilité. Ne suis-je pas, dans ma quête de "savoir comment vivent les gens ici", entrain de prendre le Pérou pour un zoo? "Commence par vivre avec 3 fois moins de flouze par mois hey blanc bec, et tu verras, tu mangeras plus de patates". Suis-je condamné à me situer entre naïveté et paranoïa quand un type m'accoste dans la rue? Non, je crois qu'il faut être clair et attentif sans sans en être crispé.

Voilà en gros ce qui germe dans mon encéphale de retour dans le car. Fort de mon expérience, je finis par me faire au fait que même en restant un an dans un pays on est souvent plus un touriste qu'un simple étranger. Et puis à quoi bon diaboliser le touriste, c'est un peu bobo non, cette hantise des sentiers battus? Au final la surface des choses reste le plus accessible mais pas forcément le plus superficiel. De bonnes photos en disent parfois plus long que de longues conversations.

Tiens, les midinettes se remettent a piailler, vivement qu'on arrive à Lima.

1 commentaire:

  1. tes récits sont fabuleux de sincérité et d'observation On t'embrasse Yvette et René-Paul

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